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La bibliothèque de Mathias Corvin

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Donatella NEBBIAI, Jean-François MAILLARD (Communication du 1er décembre 2005)

La bibliothèque du roi Mathias Corvin (1458-1490) est l’une des plus importantes collections de l’Europe du Quattrocento. Deux cents manuscrits en subsistent, dont font partie de véritables chefs-d’œuvre, réalisés par les plus célèbres copistes et enlumineurs. Le projet en est conçu dès 1458 (son fondateur commence alors à acquérir systématiquement des livres), mais c’est autour de 1470 qu’elle devient la bibliothèque officielle du royaume. Tout de suite après la mort du monarque commence sa dispersion, qui s’achève dans les premières décennies du XVIe siècle, après la bataille de Mohàcs. Ces événements ne font qu’augmenter la renommée de la Corviniana. Elle devient alors un véritable mythe, célébré par les érudits. Après les travaux fondateurs de C. et de K. Csapodi, les recherches de ces vingt dernières années permettent désormais d’ouvrir de nouveaux questionnements. Bibliothèque humaniste, la Corviniana a contribué à diffuser des écrits et des idées en tant que lieu de conservation et de recherche. Mais elle tient également une place importante dans la pratique du gouvernement. Mathias, comme d’autres souverains de son temps, s’est servi des livres pour nouer ou pour renforcer des alliances. Alors que la Hongrie occupe une position stratégique entre Orient et Occident, la bibliothèque a soutenu l’action politique du roi, dont elle contribue à imposer l’image. Je développerai ces problématiques à travers les axes suivants : les modèles, les espaces et les usages, les textes et les réseaux.

Ps. Denys l’Aréopagite, Opera. Armes de Mathias Corvin avec le sigle M.A. (= Mathias Augustus). Notes d’achat du XVIe siècle : « Alphonsi de Gamitz. Fortunae. AP. Coetera. 1573 . Emptus Vienae mense martii. Cinquante huit (...). 19. Coté cent vingt deux » (Le manuscrit a été acheté à Vienne en 1573 par le dénommé Alphonse  de Gamitz). Besançon, Bibl. mun., ms. 166, fol. 1

Ps. Denys l’Aréopagite, Opera. Armes de Mathias Corvin avec le sigle M.A. (= Mathias Augustus).
Besançon, Bibl. mun., ms. 166, fol. 1.

Notes d’achat du XVIe siècle : « Alphonsi de Gamitz. Fortunae. AP. Coetera. 1573 . Emptus Vienae mense martii. Cinquante huit (…). 19. Coté cent vingt deux » (Le manuscrit a été acheté à Vienne en 1573 par le dénommé Alphonse de Gamitz).

Les modèles

Ps. Denys l’Aréopagite, Opera Note du XVIe siècle : « Sum Marci Singknoser in Insal (ou Infal ?), consiliarii et secretarii latine sacrae Ro(manae). et regiae Maiestatis ex dono quondam magistri Joahnnis Mariae Malvezii mihi anno salutis 1550 Constantinopoli facto. Ex libris bibliothecae Buden(sis) ser.mi quondam regis Mathiae a Turcis direptae ».  Le manuscrit se trouvait en 1550 à Constantinople et il a été offert par un certain Giovanni Malvezzi (la famille Malvezzi est une famille de Bologne) à Marc Singknoser, un secrétaire de l’empereur Ferdinand, c'est à dire Ferdinand Ier († 1564) qui a été roi de Bohème et de Hongrie en 1526, succédant à Louis II. Besançon, Bibl. mun., ms. 166, contreplat inf.

Ps. Denys l’Aréopagite, Opera.
Besançon, Bibl. mun., ms. 166, contre-plat inf.

Note du XVIe siècle : « Sum Marci Singknoser in Insal (ou Infal ?), consiliarii et secretarii latine sacrae Ro(manae). et regiae Maiestatis ex dono quondam magistri Joahnnis Mariae Malvezii mihi anno salutis 1550 Constantinopoli facto. Ex libris bibliothecae Buden(sis) ser.mi quondam regis Mathiae a Turcis direptae ».Le manuscrit se trouvait en 1550 à Constantinople et il a été offert par un certain Giovanni Malvezzi (la famille Malvezzi est une famille de Bologne) à Marc Singknoser, un secrétaire de l’empereur Ferdinand, c’est-à-dire Ferdinand Ier († 1564) qui a été roi de Bohème et de Hongrie en 1526, succédant à Louis II.

La Corviniana est conçue au milieu du Quattrocento. C’est alors qu’après une longue période de conflits, les seigneurs italiens, dont le jeune Mathias est un admirateur et un proche, se résolvent à faire la paix. L’équilibre établi lors des accords de Lodi (1454) est plutôt un état de non-agression, qui se maintient pourtant pendant près de trente ans. Au plan idéologique, ces personnalités se réfèrent à Pétrarque qui, au siècle précédent, avait appelé la venue d’un seigneur capable de « drizzar in stato la più nobil monarchia ». Aidés par leurs conseillers, ils encouragent la diffusion du mythe du prince cultivé, vertueux et soutenu par la Fortune, porteur d’un nouvel ordre politique fondé sur la raison humaine et non plus sur la coutume. Institution culturelle par excellence, la bibliothèque doit renforcer ces nouvelles formes d’autorité, en contribuant à incarner la puissance publique souveraine et à l’inscrire dans son devenir historique. De 1440 à 1470, plusieurs bibliothèques sont fondées, le premier exemple étant offert par Côme de Médicis à Florence. On peut aussi citer les Sforza à Milan, les Este à Ferrare, les Gonzaga à Mantoue, les Malatesta à Césène. À cette même époque remonte aussi le projet de la Bibliothèque Vaticane de Nicolas V (Thomas Parentuccelli). Tout en intégrant les connaissances de différentes époques, ces collections sont créées ex-novo, souvent en un court laps de temps, ce qui a d’ailleurs un très grand impact sur l’opinion publique. Le souverain passe commande aux ateliers les plus réputés ou fait travailler sur place des copistes et des artisans. Souvent luxueux, les manuscrits portent les armes et les emblèmes de leur possesseur. Pour ce qui est de la Corviniana, ce sont les événements les plus significatifs du règne qui déterminent ses orientations. C’est à partir de 1464, par exemple, date du couronnement officiel de Mathias, que de nombreux manuscrits sont commandés en Italie du Nord. L’année 1476, date de son mariage avec Béatrice d’Aragon, voit arriver en Hongrie des manuscrits copiés en Italie du sud. La reine, elle-même bibliophile, commence aussi à créer sa propre collection au côté de celle de son époux. En 1471, après la tentative de coup d’état de Jean Vitez, les manuscrits appartenant à ses partisans sont intégrés dans la collection du roi qui formalise alors le projet de constituer la Corviniana. Mais c’est surtout entre 1480 et 1490 que Mathias se fait mécène et concentre son action sur la bibliothèque, afin de promouvoir la dynastie des Hunyadi.

Les espaces et les usages

Créée pour la gloire de son fondateur, la bibliothèque humaniste est tournée vers l’extérieur. Ses bâtiments concourent à célébrer le souverain et sa lignée ; dans les manuscrits des dernières décennies du siècle, les frontispices témoignent de l’influence des modèles architecturaux (et en particulier des inscriptions). La bibliothèque est aussi une vitrine où le seigneur se met en scène, devant un parterre d’érudits et de proches. Vespasiano da Bisticci rappelle ainsi que le roi Alphonse d’Aragon se faisait lire tous les jours des passages de Tite Live (« et sempre… mentre che istava a Napoli, ogni di si faceva legere da meser Antonio Panormita le Deche di Livio, alle quali letioni andavano molti signori… Facevasi legere altre letioni della Sacra Scrittura et d’opere de Senecha et di filosofia »). Ouverte aux érudits, la bibliothèque humaniste n’est pas seulement un lieu de lecture mais aussi un espace pour les conversations savantes. Les symposia sont fréquents à la cour de Mathias. Le roi fait apporter des livres et en fait lire des passages, qui sont l’objet de débats savants. C’est probablement à la double influence de Béatrix d’Aragon et de Vitez qu’il faut faire remonter ces réunions, qui se déroulent selon une véritable liturgie. Ces pratiques renouent avec celles des académies de l’Antiquité. Pourtant, dans leur disposition, les collections du roi portent aussi la marque d’influences médiévales. Mathias dispose ainsi de livres en divers lieux, selon l’usage. Outre la bibliothèque, le roi a une chapelle, où se trouvent les manuscrits liturgiques nécessaires aux offices religieux. Les livres de la reine Béatrix étaient, semble-t-il, séparés de ceux du monarque. En revanche, à la différence d’autres souverains humanistes, Mathias ne semble pas avoir eu de studiolo. Très répandus dans les cours de la Renaissance, ces lieux où le seigneur s’isole pour étudier et pour écrire, renvoient non pas aux habitudes du milieu courtois mais plutôt à la tradition du docte chrétien, exaltée par le De vita solitaria de Pétrarque.

Les textes

Marlianus, Epithalamium. Portrait de Mathias Corvin en empereur romain. Manuscrit préparé pour le mariage du fils de Mathias Corvin. Jean, avec Bianca Maria Sforza, en 1487. Volterra, Bibl. Guarnacci, ms. lat. 5518, f. 5

Marlianus, Epithalamium.
Volterra, Bibl. Guarnacci, ms. lat. 5518, f. 5.

Portrait de Mathias Corvin en empereur romain. Manuscrit préparé pour le mariage du fils de Mathias Corvin. Jean, avec Bianca Maria Sforza, en 1487.

La bibliothèque humaniste n’est pas exhaustive. Elle propose aux savants un choix de textes de référence et même, des modèles à imiter (cf. Lorenzo Valla). La célébration de l’héritage antique se traduit par le choix d’un répertoire textuel bilingue, exclusivement grec et latin. Le choix des corvina grecs, dont il conviendrait de reprendre l’étude, illustre les intérêts du roi et de ses proches. L’helléniste le plus célèbre de son entourage est Pannonius ; ses manuscrits sont passés dans la Corviniana. Dès le début du XVIe siècle, le souvenir des manuscrits grecs de Corvin est évoqué par des érudits qui en possèdent des listes. Aucune n’est parvenue, mais ces témoignages, qui remontent généralement aux milieux vénitiens, confirment la richesse de la collection du roi en ce domaine. L’histoire est également mise en valeur. L’intérêt pour cette discipline est constant tout au long de l’histoire de la Corviniana. Par ailleurs les choix de lecture de Mathias (et par conséquent ses achats) ont évolué tout au long de son règne. Dans les toutes premières années il acquiert surtout des livres de théologie, de philosophie, de sciences, d’astronomie qui correspondent à ses intérêts personnels. Dans ce cadre l’astronomie est particulièrement importante, et les spécialistes de cette discipline jouent un rôle important dans l’entourage du souverain (Galeotto Marzio et Regiomontanus en particulier). D’autres disciplines ont également compté dans sa formation : l’art militaire et la stratégie par exemple sont prisés par Mathias qui a possédé des remarquables livres en ce domaine (voir par exemple le célèbre traité de Roberto Valturio). Dans les dix dernières années du règne Mathias a privilégié, outre l’histoire, les recueils généalogiques, qu’il fait décorer de ses armes et de ses emblèmes. Il a également commandé à ses collaborateurs des textes de circonstance, dont font partie les poèmes célébrant sa bibliothèque. C’est donc du vivant même du souverain que commence à se mettre en place le mythe de la Corviniana. Dans l’ensemble, il convient de s’interroger sur le rôle que l’entourage du monarque a joué dans l’évolution des lectures. Le goût pour l’histoire, par exemple, lui est très probablement communiqué dans sa jeunesse par Vitez, passionné de Tite Live. Enfin, il convient de s’interroger sur l’usage des manuscrits de Corvin pour l’établissement d’éditions à l’époque moderne.

Les réseaux

Si à la fin de son règne Mathias contrôle de près l’action de son entourage, il ne semble pas en avoir fait de même avant 1470. C’est alors que savants et conseillers pèsent davantage sur ses choix politiques et culturels. Outre Jean Vitez, chancelier et titulaire du siège épiscopal d’Esztergom, qui a joué un rôle important à la cour en s’appuyant sur son cercle de fidèles, d’autres personnalités devraient être étudiées de manière approfondie. Loin de se limiter à appliquer les consignes du roi, ces hommes ont fait souvent preuve d’autonomie, participant eux-mêmes à la définition des alliances et des choix politiques (voir par exemple Nicolas de Modrush, possesseur lui aussi d’une importante bibliothèque). Leurs carrières, en partie connues grâce aux correspondances et aux manuscrits conservés, font état de leurs relations. Les réseaux ainsi mis en place ont parfois continué leur activité après la mort du roi. Tout en ayant contribué à la dispersion de la Corviniana, ils ont aussi fait sa renommée dans l’Europe savante.

N.B. Cette communication a été publiée en 2006 sur la plateforme Ædilis (http://aedilis.irht.cnrs.fr/manuscrit/corvin.htm).


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